La région d’Izumo
Le clan Matsudaira, seigneurs féodaux de la Province d’Izumo
Durant la période d’Edo (1603-1868), la classe militaire des samurais avait le pouvoir sur les paysans et sur les habitants des villes et des villages. Dans la province d’Izumo l’autorité territoriale fut accordée en 1638 à Matsudaira Naomasa, le petit-fils du shogun Tokugawa Ieyasu. Branche cadette des Tokugawa, le clan Matsudaira entretenait des relations favorables avec le shogunat et régna sur la province de façon ininterrompue pendant plus de 230 années, jusqu’à ce que les domaines féodaux soient remplacés par les préfectures modernes. Grâce à cette longévité, des liens étroits se sont développés entre le clan Matsudaira du domaine de Matsue et ses sujets, des liens qui ont trouvé leur expression en des termes culturels ainsi que politiques et économiques.
Les caractéristiques géographiques de la province d’Izumo et ses industries à l’époque moderne
La province d’Izumo est délimitée par les montagnes du Chūgoku au sud et la péninsule de Shimane au nord, tandis que les plaines et les lacs de Shinji et de Nakaumi s’étendent en son centre. L’expansion que connurent les industries de la province à l’époque d’Edo doit beaucoup à ce contexte géographique. Le développement de l’industrie métallurgique tatara (du nom des traditionnels soufflets à pied utilisés pour alimenter la forge) dans les montagnes du Chūgoku puisa dans les ressources naturelles de la région : fer, sable et charbon. Des familles de forgerons, telles que le Itohara et les Sakurai du district de Nita, et les Tanabe de district de Ishii, ont connu leur essor grâce au patronage du domaine de Matsue. Parallèlement, dans les zones de plaine au centre de la province, le développement à grande échelle de terres rizicoles allait de l’avant avec l’asséchement de lacs et marécages. Les Yamamoto, les Kisa, les Kowata et les Tezen sont quelques-unes des grandes familles de propriétaires terriens qui prospérèrent dans les plaines.
Les Riches Fermiers d’Izumo
Ces familles, tout en devenant d’importants propriétaires terriens, assirent aussi leur fortune grâce à des incursions réussies dans le commerce et l’industrie, tout comme les forgerons qui s’engageaient dans la production et la vente de fer. Des familles telles que les Kisa et les Kowata géraient des entrepôts de vente en gros qui expédiaient du coton, un matériau qui devint une industrie clé de la province d’Izumo durant la seconde moitié de la période d’Edo. Pour cette raison, ils jouissaient d’une position élevée dans leurs villes et villages respectifs où ils étaient considérés comme ‘les aînés des fermiers’. En plus d’asseoir leur influence en tant que notables locaux, ils jouaient aussi un rôle dans la maintenance du contrôle et de l’autonomie de la région en remplissant des positions officielles dans les fédérations de village.
Le domaine de Matsue et le rôle des Riches Fermiers
Quand les finances du domaine de Matsue déclinèrent à partir du milieu du 18ème siècle, le rôle de ces riches familles de fermiers, qui y contribuaient de façon proportionnelle à leurs moyens, devint de plus en plus proéminent dans l’économie locale. La restauration des finances du domaine durant la seconde moitié du 18ème siècle n’aurait jamais pu être accomplie sans l’assistance et la coopération des ces fermiers aisés. En reconnaissance de leur contribution, le domaine répondit en leur octroyant des avantages, particulièrement dans la gestion de leur statut social. Lord Harusato, par exemple, observait la règle de la ‘résidence alternée’ à Edo (un système qui voulait que le daimyō maintienne une résidence à Edo, la capitale des Tokugawa, où il devait passer une année sur deux). Durant les années où il résidait à Izumo, il faisait régulièrement le tour de la province afin de visiter le sanctuaire de Izumo Taisha et celui de Hinomisaki, s’adonner à la fauconnerie et faire des incursions dans les zones les plus reculées de la région. En de telles occasions il demeurait souvent chez les riches fermiers, utilisant leurs résidences privées comme base pour son cortège.
Le contexte historique relatif à la transmission de l’art et l’artisanat
L’opportunité de recevoir le seigneur du domaine était un honneur pour ces riches fermiers. Cela donnait lieu à des échanges culturels, en particulier avec Lord Harusato qui était un aficionado de la cérémonie du thé (dans ce contexte il était mieux connu sous le nom de Fumai), ainsi qu’avec son frère cadet Nobuchika qui l’accompagnait souvent et écrivait des poèmes haïku sous le nom de plume Sessen. Cela signifiait aussi que les riches fermiers se devaient de maîtriser les codes culturels dignes de leur poids économique, afin de recevoir au mieux le daimyō et les samurais du domaine de Matsue qui formaient son cortège.
Maître accompli de la cérémonie du thé, Lord Harusato (Fumai) forma au cours de sa vie une collection d’objets de thé remplie d’exemples de la plus grande qualité. Il a aussi financé la formation d’artisans d’Izumo, tels que le maître menuisier Kobayashi Jodei, le laqueur Kojima Shikkosai et le pottier Nagaoka Sumiemon. La transmission de certaines pièces de la collection de Lord Fumai et d’objets de la main de ces artisans vers les résidences des riches fermiers dérive vraisemblablement des circonstances décrites plus haut. Suite à l’abolition du système féodal en 1871, le fait que le domaine de Matsue fut en mesure de faire appel à ces familles afin d‘acquérir la collection d’ustensiles pour la cérémonie du thé de Lord Fumai et d’assurer ainsi qu’elle reste à Izumo est indubitablement dû aux échanges culturels entretenus entre eux et les seigneurs du domaine pendant des générations.